"Ce que nous sommes est le cadeau que la vie nous a fait, ce que nous devenons
est le cadeau que nous faisons à la vie"
(Michel St Jean)
"Impose ta chance.
Serre ton bonheur.
Va vers ton risque.
À te regarder, ils s'habitueront !"
(René Char)

Comment
souvent dans ma vie, je me trouve actuellement dans une phase de transition, cette fois-ci liée à mon activité d’accompagnant ou, pour être franc, au fait que j’ai
l’impression de traverser une période de « disette » en terme de
mandats.
J’ai
beau me raisonner en comparant mes chiffres actuels avec ceux de l’année
passée à la même période, quasiment identiques, et négocier avec mes démons habituels – sentiment
d’ennui, recherche de sens, le travail comme valeur suprême qui me fait oublier
qu’il y a d’autres domaines de vie à soigner, mon saboteur interne qui me
souffle que je ne suis pas un bon coach,… – ainsi qu’avec ma peur du vide, mes
conclusions me mènent toujours à la même question : est-ce que je dois
faire quelque chose pour que « ça bouge » ou pas ?
Cette
interrogation me renvoie non seulement à la tension entre « réagir »
et « agir » (« Si je pose un acte, est-ce pour calmer mes
angoisses et pour faire taire mes diablotins chéris ou est-ce pour couvrir un
besoin essentiel chez moi ? »), mais également à une question
récurrente : si j’agis, est-ce pour être acteur ou auteur de ma vie ?
La
différence entre ces deux postures semble peut-être futile, mais, pour moi,
elle révèle une différence de taille.

Si être « acteur » de sa vie
suppose poser des actes dans le but de reprendre du pouvoir sur certains
aspects existentiels qui risquent sinon de nous mettre dans un rôle de victime,
être « auteur » de sa vie pose, de mon point de vue, un problème
philosophique voir spirituel : de quel droit pouvons-nous prétendre être à
l’origine de ce fleuve vital qui nous a à la fois permis de naître et qui nous
transporte aujourd’hui ? N’y a-t-il pas un risque de se prendre pour Dieu
et, qui de plus est, pour une divinité omnipotente et omnisciente ?
Si
je trouve qu’être « acteur » de sa vie repose sur la valeur
fondamentale d’humilité vis-à-vis de la vie en nous confrontant avec les
limites de nos actions quant aux résultats – qui ne nous appartiennent pas
entièrement –, le fait de se revendiquer « auteur » de sa vie me
paraît un brin naïf et me fait penser à une croyance très présente dans notre
monde occidental et dont les États-Unis sont un exemple criant, presque caricatural :
« quand tu veux, tu peux ». Un slogan qui fait de nous soit un
« winner » soit un « looser » et qui ne voit la réussite
qu'à la lumière de la performance.
Or,
récemment, j’ai « rencontré » une lecture qui m’a permis de me
décentrer et de voir la problématique sous un nouvel angle. Il s’agit du
dernier ouvrage de Lytta Basset,
théologienne protestante, philosophe et accompagnatrice spirituelle ; un
opus dans lequel figure un chapitre intitulé « Avoir de l’autorité :
être auteur de sa vie ».

Fidèle
à sa démarche d’une grande rigueur intellectuelle, l’auteure neuchâteloise se
penche tout d’abord sur l’étymologie du mot « autorité ». En effet,
« étymologiquement, le mot
auctoritas
vient de la racine indo-européenne {aug} qui signifie
augmenter,
faire croître,
avec une idée de force protectrice, voire de dynamisme et de créativité ».
Sur cette base, exercer une autorité signifie donc tout d’abord « produire »,
« faire naître » (qui nous renvoie à la signification première de
auctor, « celui qui fait croître et
pousser, d’où aussi, en français, le mot « auteur » »).
Être
une « auctoritas » désigne ensuite également le processus nécessaire
à la réalisation d’un tel résultat : « une liberté dynamique qui me
tire de moi-même », une capacité de me donner des autorisations qui, tout
en respectant la liberté des autres, me permettent non seulement de me
dépasser, de m’élever, de grandir mais également de devenir un modèle, un
exemple pour d’autres, un « autorisateur » qui donne l’autorisation à
d’autres de s’en octroyer à leur tour.
Dans
cette perspective, être auteur de sa vie reviendrait donc à exercer son
autorité en faisant tout d’abord preuve de créativité et cela dans le but de
grandir, de croître et de participer à un processus vital dynamique : son propre
développement et déploiement personnel. Le fait de se donner l’autorité et
l’autorisation d’être l’auteur de sa vie permet ensuite à d’autres personnes de
faire de même et à devenir elles-mêmes des autorités pour elles-mêmes et pour
les êtres qu’elles côtoient.

En
sa qualité de théologienne, Lytta Basset s’appuie ensuite sur un épisode de la
Bible pour illustrer ses propos (en l’occurrence, le passage consacré à la
femme adultère dans l’évangile de Jean (8, 1-11) et dans lequel Jésus prononce
cette phrase maintes fois citées : « Que celui d'entre vous qui n’a jamais péché
lui jette la première pierre ») et propose quelques réflexions – citées entre
guillemets et en italique ci-dessous – que je me permets de commenter avec mes propres
mots :
« L’authentique autorité est le fruit
d’une descente au fond de soi » : il s’agit d’être vrai, de ne
pas faire illusion ni envers soi-même ni envers les autres en accueillant
consciemment ses ombres et ses lumières ainsi que sa vulnérabilité.
« L’authentique autorité est le fruit
d’une réunification intérieure » : être auteur de soi revient à être
présent à soi-même, à ses émotions, surtout quand il s’agit de la peur ou de la
colère. Ceci ne signifie pas leur laisser libre cours, mais plutôt entreprendre
un travail d’acceptation, de dialogue, de négociation vis-à-vis de nos
« démons intérieurs » qui débouche sur une pacification de la
relation avec eux. Pour le dire avec les mots du psychiatre américain Scott
Peck : « la véritable paix intérieure
exige une intimité avec la moindre des facettes de notre personnalité ».
« L’authentique autorité produit
et fait croître soi-même et les autres » : exercer son
autorité et être auteur de soi-même, c’est tout d’abord accorder ses propos et
ses agissements à ses valeurs pour ensuite pouvoir agir en toute cohérence dans
ses choix de vie tout en respectant les valeurs, les propos et les agissements
d’autrui. Le fait de se respecter en étant ainsi « accordé » force le
respect chez les autres et peut ensuite les encourager à faire de même.
« L’authentique autorité restaure le
dialogue » : reconnaître sa propre autorité revient à reconnaître
celle des autres, en toute horizontalité, sans jugement ni sentiment de
supériorité ou d’infériorité. C’est accepter que nous sommes à la fois tous
différents et, dans notre humanité, semblables de par notre vulnérabilité et
nos émotions. Et c’est aussi assumer sa part de responsabilité dans tout
dialogue et de laisser l’autre assumer la sienne. En d’autres termes :
pour pouvoir communiquer avec l’autre, il faut tout d’abord être capable
d’entrer en communication avec soi-même pour permettre à son vis-à-vis de faire
de même.
« L’authentique autorité rend la
parole » : afin de reconnaître l’autorité d’autrui et lui
permettre d’être auteur de soi-même et de sa vie, il s’agit de le laisser
s’exprimer pour qu’il puisse expliciter ses émotions, ses besoins, ses choix
dans le but de pouvoir ensuite mieux les assumer. La parole a ainsi une double
fonction : elle est à la fois le déclencheur et le vecteur du processus de
créativité de soi. Et Lytta Basset de citer Michaël Foessel :
« l’autorité opère sans bruit ni visibilité, mais elle repose sur une
condition bien plus contraignante, celle de pouvoir être à son tour
transmise ».
Le
texte de la théologienne et philosophe protestante aura permis de faire évoluer
ma réflexion autour de ce qui était pour moi une forme de dichotomie entre le
fait d’être « acteur » ou « auteur » de sa vie.
Je
réalise en effet que, pour être acteur de sa vie et de reprendre du pouvoir sur
celle-ci en posant des « actes » et en jouant au mieux son rôle sur
la scène du théâtre de la vie, il s’agit également d’exercer son autorité,
d’être auteur donc, en étant relié et accordé à notre être profond, à nos
émotions, à nos ombres et lumières, pour assumer pleinement notre
responsabilité dans toute situation, à plus forte raison quand celle-ci
implique d’autres personnes. Cette autorisation à être soi tout en respectant
le droit à l’autorité et à l’autorisation de l’autre se trouve être une
condition sine qua non pour permettre une action, en tout cohérence, des uns et
des autres.
Et,
par rapport à la question que je posais en ouverture de cet article – « est-ce que je dois faire quelque
chose pour que « ça bouge » ou pas ? » –, je me dis
qu’avant d’être « acteur » de ma vie en agissant, il serait bon que
je continue à exercer mon autorité sur moi-même en dialoguant avec toutes les
facettes de ma personnalité tout en me donnant l’autorisation d’être le plus
accordé et relié avec qui je suis dans toutes mes activités actuelles. Autrement dit : pour que "ça" bouge, il faut d'abord que "je" bouge, intérieurement et extérieurement.

Et –
c’est certainement la conclusion la plus importante pour moi – que je continue
à dialoguer avec la vie : si ma part de responsabilité revient à être
auteur de mon bout de communication, je dois aussi laisser à la vie la
responsabilité de son bout de dialogue à elle. En d'autres termes : je ne dois
pas oublier de rester à l’écoute de la vie, de sa « parole » et de
tout ce qu’elle pourra m’apprendre et me fournir comme indices, plus ou moins
évidents. Et, lorsque je voudrais devenir acteur en posant des actes, il
s’agira d’être humble en acceptant la part d’autorité que la vie a sur
elle-même. Et lâcher prise sur mes besoins de contrôle, de
sécurité et de reconnaissance.
Être
acteur ou auteur de sa vie n’est donc qu’une apparente opposition, puisque ces
deux postures sont complémentaires : pour pouvoir être acteur de sa propre
vie et agir de manière cohérente, le fait d’exercer une autorité sur soi-même
tout en reconnaissant et en encourageant l’autorité que les autres exercent sur
eux-mêmes se révèle être une condition essentielle.
Au
fond, être auteur de sa vie revient à accepter que nous sommes avant tout co-auteurs du chemin à parcourir :
nous ne sommes pas seuls et, si le choix de nos actes nous revient, nous
n’avons que peu d’emprise sur leurs effets.
En
tant qu’être humain et comme coach, je ne peux donc que vous encourager à être
auteur et acteur de votre vie en agissant de la manière la plus cohérente
possible avec ce qui vous habite ici et maintenant. Et j’espère sincèrement que
mes essais, certes maladroits, d’être auteur de moi-même vous donne cette
autorisation-là.
- Basset, L. (2016). Vivre,
malgré tout. Genève : Labor et Fides, p. 47-68
- Peck, S. (2002). Au-delà du
chemin le moins fréquenté. Réconcilier le coeur et la raison. Paris : Robert Laffont, p. 245
- Foessel, M. (2005). Pluralisation des autorités et
faiblesse de la transmission. Esprit, mars-avril 2005, p. 12.