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Être enthousiaste : jusqu’où aller trop loin ?

Posted on 12 November, 2016 at 15:39

"Il n'y a pas d'enthousiasme sans sagesse, ni de sagesse sans générosité" (Paul Eluard)

"L'enthousiasme est frère de la souffrance" (Alfred de Musset)

Dans mon précédent article, consacré à l’autorité que chacun de nous peut exercer sur lui-même et sur sa vie, je parlais d’une « disette » au niveau des mandats en lien à mon activité de coach indépendant et l'impact que cette situation avait sur mes états d'âme.

Est-ce le « simple » fait d’avoir réfléchi à la question «Est-ce que je dois faire quelque chose pour que « ça bouge » ou pas ?» et d’être arrivé à la conclusion qu’il fallait d’abord que je me « bouge » intérieurement avant de m'agiter extérieurement qui a fait que, effectivement, les propositions affluent ? Mystère.
 
Toujours est-il que, au vu du nombre de mails et de téléphones que je reçois, je renoue avec une sentiment dont je me suis profondément méfié suite à mon burn-out : l’enthousiasme.

Dans un premier temps, j’ai en effet identifié cette émotion comme une des sources principales de l’épuisement, renforcé en cela par des lectures sur le burn-out qui le qualifient de « maladie des enthousiastes et des idéalistes ».
 

Comme Alexandre Jollien (1), j’en étais ainsi arrivé à la conclusion que l’enthousiasme était à mettre en lien avec la passion, « ce qui, en moi, est plus fort que moi », ainsi qu’avec le pathos, ce « qui nous fait sortir de nos gonds, et risque d’aliéner notre liberté ».
 
Cette incroyable force qui m’a habité dans toutes mes activités professionnelles, que cela soit comme entraîneur/formateur sportif ou en tant qu’enseignant/formateur/didacticien d’allemand s’est en effet tout d’abord retournée contre moi pour ensuite m’abandonner pendant plusieurs années.
 

Peut-être ai-je vécu ce que Jacqueline Kelen (2) appelle une « nuit de l’âme », un « abîme vertigineux », « un état intérieur de déréliction et d’esseulement affreux » lié au sentiment d’être abandonné par mon enthousiasme, ma foi, ma confiance en la Vie, une épreuve qui « a pour sens de vérifier la solidité et l’authenticité de l’état spirituel acquis ». Mystère une fois encore…
 


Toujours est-il que, après cette longue traversée du désert, mon enthousiasme a refait surface de manière sporadique au gré des projets personnels ou professionnels, mais je ne voyais pas cela d’un bon œil : le traumatisme lié à ce vécu et la peur de la rechute m’ont amené à identifier cet élan comme un signe négatif, une preuve que j’avais encore à faire un travail sur moi-même pour canaliser mes émotions et ne pas me laisser guider par elles.
 
Or, mes représentations se sont transformées tout d’abord à la lecture de l’ouvrage de Lytta Basset (3) qui rappelle que, étymologiquement, « enthousiasme » vient de « en theos », ce qui signifie, traduit du grec ancien, « être possédé par Dieu ». Puis, à celle du livre de Scott Peck (4) qui, en empruntant les propos de Gerald May, définit l’enthousiasme comme « la force de caractère de quelqu’un qui veut aller là où il est appelé ou entraîné par un pouvoir supérieur ». Une force – Frédéric Lenoir (5) parle même de vocation – qui, lorsqu’elle vient à manquer, fait de ceux qui en sont privés des « éternels affamés » – deux mots qui font écho par rapport à mon ressenti lors de la « nuit de l’âme » dont j’ai parlé plus haut.
 
Aujourd’hui, j’ai le sentiment de m’être réconcilié avec mon enthousiasme et de ne plus avoir peur de l’incroyable vitalité qui en découle. Par contre, je reste sur mes gardes : je connais maintenant le prix à payer pour ne pas avoir réussi à endiguer ce flot (ou ce « flow », comme l’appelle le psychologue d’origine hongroise Mihály Csíkszentmihályi).
 
Il s’agit donc de rester vigilant. Ce qui équivaut, à mes yeux, à identifier les limites de cette force et ce en quoi elle représente un frein. Je vais donc tenter, le moins maladroitement possible, de lister ici quelques « bornes » à ne plus franchir dorénavant.
 

Si l’enthousiasme est une force qui nous vient de « plus haut » – une forme d’expression du « Souffle divin » donc –, le premier danger est de s’identifier à la source de cette vitalité et de se prendre pour Dieu. Notre sentiment inné de Toute-Puissance ainsi que notre narcissisme ontologique, flattés et renforcés par la satisfaction que procure cet élan vital, nous font oublier que nous ne sommes que le « médium », le « passeur » qui se met au service de la Vie….et non le contraire.
 



Le risque est bien réel de se laisser déborder par son enthousiasme et de ne pas accueillir en toute humilité sa nature humaine, sa finitude, sa fragilité et sa vulnérabilité ainsi que ses limites physiques, psychiques, cognitives, nerveuses et émotionnelles.

Je peux aujourd’hui en témoigner et donner en partie raison à Alexandre Jollien cité plus haut : de laisser libre cours à son enthousiasme peut être aliénant. Cela d’autant plus lorsque l’activité dans laquelle cette force se déploie au mieux relève de la vie professionnelle : on en vient à oublier les autres domaines de vie, privés ceux-là – son couple, sa famille, ses amis sans oublier les activités qui nous permettent de nous ressourcer.
 

Un risque tout aussi aliénant consiste à s’approprier les résultats auxquels aboutissent les actes « habités » par l’enthousiasme: notre besoin de reconnaissance se nourrit si facilement de nos succès, « gonflant » ainsi notre estime de nous-mêmes.


Tout en ajoutant que, paradoxalement, notre ego s’alimente presque encore plus volontiers des échecs, renforçant ainsi sa tendance naturelle d’auto-flagellation et d’ « auto-sabotage », notre « imposteur intérieur » ne se réjouissant que trop de pouvoir nous attribuer nos chutes, désastres et autres manques. En toute malveillance.
 
Un autre danger trouve son origine dans la confusion entre ce que Jung appelle le « Moi » et le « Soi ». En effet, quelle part de nous nourrissons-nous lorsque, plein d’enthousiasme, nous nous attelons à une tâche ? Si, pour couvrir nos besoins égotiques de contrôle, de reconnaissance et de sécurité, nous nous donnons corps et âme, peut-on alors encore parler d’ « enthousiasme » au sens étymologique du terme ? Où s’agit-il alors plus de rassurer notre « Moi » dans une débauche d’action à l’effet anxiolytique ou narcissique ?
 
Il s’agit dès lors d’interroger la finalité de nos actes et de ne pas confondre action avec réaction :
 
  • Pour qui et pour quoi est-ce que je me lance dans cette tâche ?
  • Quelle part de moi est-ce que je nourris quand je dis « oui » à une activité et quand je l’exécute ?
  • Quels sont les besoins que je couvre chez « Moi » quand je me livre à une activité ?
  • Au service de qui ou de quoi est-ce que je me mets lorsque je réalise une tâche « avec enthousiasme » ?
  • D’où me vient l’énergie qui m’habite au moment où j’agis – autrement dit : qui agit quand j’agis ? –, comment et à quelle(s) fin(s) est-ce que je l’utilise ?

 


Pour cette dernière question, je réalise que mon corps – le gant de l’âme, ne l’oublions pas – se révèle être une aide précieuse : selon l’intensité avec laquelle je m’investis dans une activité, il m’indique au service de qui ou de quoi je mets mon énergie.
 







En effet, plus je me « donne à fond », au risque parfois de me crisper, plus j’ai de chance de couvrir des besoins purement humains – volontarisme, impatience, reconnaissance par rapport au résultat – et de voir mon mental prendre de la vitesse et se projeter dans un avenir qu’il aimerait se voir réaliser rapidement et aussi près que possible de l’idéal et/ou de ses projections.
 
Et, à l’inverse, c’est en ayant parfois l’impression d’en faire moins et de « surfer » avec facilité et légèreté sur la vague de la tâche que je mets mon énergie et mon enthousiasme au service de « quelque chose d’autre ». C’est probablement ce que la philosophie orientale appelle le « non-agir dans l’agir" et qui, concrètement, pourrait se résumer à rester à l'écoute de son corps, de son souffle et de son silence intérieur pour rester "en theos"-iaste et disponible à une énergie qui nous vient d'ailleurs.
 
Maintenant que j’ai identifié les écueils possibles dans l’exercice de l’enthousiasme et listé les questions qui me permettent de les repérer, il me reste à trouver un éventuel antidote, une protection « anti-sortie de route ». La métaphore du cocher dont parle Frédéric Lenoir et qu’il emprunte à Platon m’apparaît alors comme une évidence : les deux chevaux qui tirent la calèche représentent pour l’un le corps émotionnel et pour l’autre le corps mental, l’occupant de la voiture renvoie à notre âme et le cocher qui tire les rennes prend les traits de la raison et/ou, en fonction des lectures, de notre esprit.
 
Cette image m’encourage à me laisser habiter à nouveau par mon enthousiasme avec sérénité, car je sais que cette force « qui me vient d’ailleurs » est un moteur de vie indispensable à mon cheminement. Je suis également conscient, pour l’avoir expérimenté, des dégâts que cet élan peut causer quand il n’est pas « conduit », dirigé avec discernement et bienveillance.
 
Je vous souhaite donc à toutes et à tous de trouver les domaines d’activité qui vous permettent de faire brûler en vous cette incroyable force de vie qu’est l’enthousiasme, tout en ayant la sagesse de vous rappeler que vous êtes à la fois le serviteur de ce qui en est la Source et le maître de l’énergie débordante qui peut en être la conséquence.
 
 
(1) Jollien, A. (2010). Le philosophe nu. Paris Editions du Seuil, p. 21
(2) Kelen, J. (2015). Sois comme un roi dans ton coeur. Entretiens. Genève: Labor et Fides, p. 126-128
(3) Basset, L. (2016). Vivre, malgré tout. Genève : Labor et Fides.
(4) Peck, S. (2002). Au-delà du chemin le moins fréquenté. Réconcilier le coeur et la raison.. Paris: Robert Laffont, J'ai Lu., p. 110
(5) Lenoir, F. (2012). L'Âme du monde. Paris: NiL Editions, p. 67
(6) Lenoir, F. (2010). Petit traité de vie intérieure. Paris: Plon.  

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