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Être excellent : quelle défintion pour quelle philosophie de vie ?

Posted on 14 February, 2016 at 5:42

« L’excellence, dans quelque domaine que ce soit, exige qu’on s’y consacre entièrement » (Monique Corriveau)
 
« La perfection. L’atteindre, c’est enfin connaître l’excellence par l’impuissance. » (Paul Valéry)
 
 
Dimanche 31 janvier 2016, Benoît Violier, chef de renommée mondiale de l’Hôtel de Ville de Crissier, met fin à ses jours. La gastronomie perd un (voir le meilleur) de ses plus illustres représentants, sa femme et son fils perdent un mari et un père et tous ceux qui l’appréciaient perdent un ami.
 
Je n’ai pas connu personnellement le chef étoilé franco-suisse. À l’occasion du repas-anniversaire des 50 ans de mariage de mes parents en novembre 2012, j’ai eu l’occasion de le côtoyer quelques minutes, sauf erreur entre le fromage et le dessert, pour une visite commentée de ses cuisines en présence de toute ma famille et de quelques uns de ses collaborateurs.

 
Tout ce que je peux dire de lui, c’est que c’était une personne disponible, humble et fière de sa cuisine ainsi que de ses "guerriers", nom qu'il donnait aux membres de sa brigade en cuisine.

Pour n’avoir eu la chance de déguster qu’une seule fois les plats concoctés par le chef et sa brigade, j’ai envie de dire que chacune de ses créations était une célébration des sens tant au niveau des yeux, du goût que de l’odorat : des tableaux invitant à la contemplation, au silence, à la lenteur, à l’introspection et dans lesquels la complexité des saveurs et des couleurs mettaient en évidence la qualité des produits. Tout était équilibre et harmonie, à la fois simple et recherché.
 
Sa mort brutale, violente et inattendue m’a profondément touché : j’ai d’abord ressenti une profonde tristesse puis, dans le courant des jours qui ont suivi, une très forte colère. Comment expliquer cette réaction alors que je ne le connaissais pas du tout et que je ne l’avais côtoyé que quelques instants furtifs, entourés d’autres personnes, sans contact privilégié donc ?
 
Probablement parce que je me suis reconnu dans ce destin, dans cette chute vertigineuse des sommets de sa profession aux tréfonds de l’âme. Je m’en voudrais d’ajouter une énième hypothèse à toutes celles qui ont déjà été avancées après sa mort par toutes sortes de personnes plus autorisées que moi, car plus proches. La seule personne qui pourrait expliquer les raisons de cette décision sans retour n’est plus là pour en parler : Benoît Violier lui-même. Par respect pour lui et pour les personnes proches du défunt, je ne vais pas m’aventurer à analyser sa disparition et à m’octroyer le titre d’expert.
 
Je vais donc me limiter à essayer de comprendre pourquoi la nouvelle du suicide du chef étoilé m’a tant touché. Et j’aimerais pour cela m’aider d’une rencontre, en l’occurrence celle d’un livre.
 
Le lundi 1 février, soit le lendemain de l’événement, je me baladais sans aucun but en vieille ville de Vevey en attendant de retrouver une amie pour un dîner commun, lorsque je suis tombé « par hasard » sur la vitrine d’une grande librairie de Suisse Romande. Une affiche a tout de suite attiré mon attention : « Le livre de ma vie : les coups de cœur littéraires de 30 personnalités romandes ».

Au milieu des photographies de ces figures marquantes et des couvertures des ouvrages associés, le visage de Benoît Violier me sourit. Sans réfléchir, j’entre dans la dite librairie, me procure le livre et ressort.
 
Son titre ? « Le pape des escargots », un roman écrit en 1972 par Henri Vincenot. Le récit de l’auteur et artiste bourguignon parle de la relation entre, d’une part, La Gazette, appelé également le « pape des escargots », un des derniers druides de Bourgogne, et, d’autre part, Gilbert, un jeune paysan solitaire et sauvage, exceptionnellement doué pour la sculpture.
 
La Gazette, en véritable père spirituel, tente de protéger le jeune prodige des vices du monde moderne : séduction, ambition personnelle, réussite sociale et artificielle. Gilbert, après avoir été tenté par la « réussite » à Paris, sous la houlette de mécènes aussi faussement philanthropes qu’intéressés par les bénéfices potentiels à retirer des dons de leur protégé, préfère revenir dans sa ferme pour sculpter des figures religieuses dans le bois ou à faire revivre des sculptures sur les chantiers de restauration d’églises du 11 et 12 siècle. Plutôt que de perdre son énergie à réaliser des œuvres « conceptuelles », à « l’abstraction modélisée » ou « aux contours métaphoriques », il préfère se « con-sacrer » à ce qui est essentiel pour lui : mettre sa vie au service de sa nature profonde et de son don, en toute simplicité et humilité.  
 
Pour l’avoir lu, ce livre est une ode à l’authenticité, à la nature, à la beauté originelle, à un paradis perdu qui, en l’occurrence, se situerait en Bourgogne et, idéalement, en plein milieu du Moyen-Âge. C’est également un traité de spiritualité avec une pointe d’ésotérisme : la Gazette est un chamane, sensible aux énergies de la terre, du ciel, des cours d’eau et des plantes.


Le « pape des escargots » - une allusion certes à une spécialité culinaire de cette région de la France mais également un hommage à la lenteur et au "spiritus mundi", "la giration du monde", "l'enroulement de tout"  – se veut le garant des traditions séculaires pour lesquelles le respect de la terre, de la nature et du lien entre le monde et tous les êtres vivants représentent l’essentiel du message.
 
Lorsqu’un des mécènes de Gilbert s’émeut du don de son futur protégé et se renseigne de la manière dont le jeune paysan a appris son art, la Gazette lui rétorque en ricanant que ces dons « vous possèdent depuis le commencement du monde ! Il suffit d’avoir la simplicité de bien vouloir se laisser faire….Le talent, monsieur, c’est l’obéissance, l’acceptation. Notre Gilbert est celui qui a accepté d’être l’interprète, en toute humilité… ».

Dans sa vision du monde, chaque être est au service d’une dimension qui le dépasse, universelle, sacrée et mystérieuse. Le « pape des escargots » est un mystique des temps modernes et voit en Gilbert, habité et utilisé par cette force et cette énergie cosmique, celui qui pourra reprendre le flambeau une fois sa tâche ici-bas terminée. À la condition toutefois que le jeune sculpteur ne cède pas aux sirènes du monde et ne gâche pas ses dons sacrés au profit d’un ego avide de reconnaissance.
 
La fable de Vincenot m’a beaucoup parlé, car elle problématise une notion que je peux à la fois mettre en lien avec mon parcours de vie et avec la mort du chef étoilé : l’excellence.  
 
Étymologiquement, le mot « excellence » vient du latin « cello », un verbe dérivé lui-même du nom « cella » qui veut dire « grenier », « cellier », « garde manger » ou « salle », « local » et dont un des dérivés français est le mot « cellule », que cela soit celle du moine ou celle du prisonnier.
 
En y regardant de plus près, l’origine du mot « cella », qu’elle soit de source indo-européenne, grecque, latine ou gotique, débouche sur une compréhension du mot qui est bien différente de celle retenue habituellement : relève de l’excellence quelque chose ou quelqu’un qui se dévoile, qui sort du « grenier », de la « cave », de la « réserve », qui sort de l’ombre pour se mettre à la lumière.
 
Si l’on en croit l’étymologie du mot, « l’excellence » serait la capacité de montrer ce que l’on cache, de dévoiler ce que l’on couvre, de mettre en lumière ce qui se tapit dans l’ombre. Et la perfection, synonyme de prédilection de l’excellence, qualifierait donc l’état dans lequel tout ce qui est invisible deviendrait visible, tout ce qui ce qui serait en-dedans pourrait s’exprimer en-dehors.
 
Pour reprendre les citations en exergue de ce texte, « être excellent » voudrait dire que ce qui est « con-sacré » en nous puisse se réaliser à travers nos actes et nos gestes, « dans quelque domaine que ce soit ». Et que la perfection ne serait autre que l’excellence dans l’impuissance, c’est-à-dire sans recherche de pouvoir, de volonté, de maîtrise et de contrôle.
 
Dans cette compréhension, être excellent, c’est peut-être tout simplement être disponible à ce qui se cache en nous, c’est accepter nos ombres et nos lumières et les vivre sans fards, c’est viser la perfection sans s’y cramponner, sans volontarisme, sans crispation et en toute humilité.  C’est aussi donner au monde ce que nous avons de plus profond, de plus caché, sans volonté de puissance.
 
Cette définition ne correspond cependant pas à celle que nous offrent la culture et la société actuelles pour lesquelles les mots d’ « excellence » et de « perfection » sont synonymes de « performance », de « résultats », d’ « efficacité », de « compétition », de « comparaison », de « classements », de « prestige », de « réussite », de « meilleur que les autres ».
 
Derrière cette représentation se cache une logique tournée vers l’extérieur, vers l’image que l’on veut montrer et se fabriquer pour sortir du lot, pour recevoir les louanges, la reconnaissance des autres, pour s’attirer le regard, pour « séduire » au sens propre du terme, c’est-à-dire « conduire à soi » (« se-ducere » en latin), pour alimenter son ego narcissique qui aime voire le reflet de sa propre réussite et de image, de son illusion dans les yeux des autres.
 
Dans cette perspective, ce qui qualifie le fait d’être excellent et d’être parfait relève donc prioritairement de critères définit par l’extérieur, par les contextes dans lesquels agissent les acteurs auxquels on attribue ces qualités. Si je fais le lien avec mon vécu, être excellent et être parfait c’était principalement m’adapter aux attentes, réelles ou fantasmées, des autres, à leur manière de voir mes rôles, mes compétences et ce que je devais réaliser pour les atteindre – diplômes, certifications, publications, congrès...
 
Je ne savais pas alors que « être excellent » et « être parfait » mettent principalement en avant la capacité d’être présent à soi-même, à ses forces et à ses faiblesses, d’ « être » plutôt que de « par-être », d’accepter son unicité, ses besoins et ses valeurs et de les exprimer dans tous ses gestes et ses paroles, en toute cohérence. Quitte à ne pas paraître « excellent » et « parfait » aux yeux des autres, puisqu’il ne s’agit pas de rentrer dans des catégories aux critères prédéfinis et normatifs, mais bien d’oser être qui l’on est, sans fard, sans masque.
 
C’est là le principal message du livre de Henri Vincenot, le « Livre de ma vie » de Benoît Violier : respecte ce qui de plus profond en toi, ce que la vie t’a donné et dévoile-le en toute simplicité et en toute humilité tout en respectant la vie, la nature, les autres et en évitant à tout prix de tomber dans le piège de l’ambition humaine.


Car, l’Enfer ce ne sont pas les autres : l’enfer (en anglais : the hell, dérivé du mot « cella » dont il est question plus haut dans cet article) est en nous et il se cache parfois derrière notre volonté de briller, d’être aimé pour ce que nous ne sommes pas et ne voulons pas forcément montrer.
 
En ce qui me concerne, mon burn-out m’a permis de prendre conscience de mon enfer et de mon paradis, de mes ombres et de mes lumières et de les accepter au mieux. Dans le but d’offrir à la vie et aux autres le meilleur de moi-même sans attente de résultats, d’efficacité sans attendre de reconnaissance, de récompenses ni de prestige ou de mérites.
 
Pour ce qui est de Benoît Violier, il se peut que le fait de mettre fin à ses jours ait été le dernier recours pour retrouver le chemin vers son « cellier », son « grenier », sa « cellule » intérieure, vers son « excellence » et sa « perfection » intimes, lui qui se préparait, le jour même de son départ vers un ailleurs espérons-le meilleur,  à recevoir la distinction suprême de meilleur cuisinier du monde. Ou quand l’excellence et la perfection se retournent contre elles-mêmes.
 



Je ne peux donc que vous encourager à être « excellents », à viser la « perfection » (que de toute façon nous n’atteindrons pas, disait Dali) en étant relié en toute cohérence et humilité à ce qu’il y a de plus profond en vous, de plus caché parfois, pour cheminer au plus près de vos valeurs et de vos besoins.

Pour prioritairement vous définir par rapport à vous-même et aussi pour éviter de vous laisser définir par les autres. Pour ne pas risquer, un jour ou l’autre, la désillusion, la déception de constater que le personnage factice que vous vous étiez construit a oublié de nourrir une part importante et essentielle de soi : celle qui à la fois nous appartient le plus…et le moins.
 
PS Les photographies utilisées pour l'illustration de cet article ont été prises par mon fils Félix le 22 novembre 2012 à l'occasion du 50ème anniversaire de mariage de mes parents que je remercie du fond du coeur de nous avoir permis de vivre ce "long moment de grâce et de lumière", cette "communion hors du temps"...et pour tout le reste ;-)
 

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